Pendant la pandémie, j’ai replongé dans mes tendances complotistes. J’ai été séduit par les déclarations du professeur Didier Raoult de l’IHU de Marseille, et j’ai commencé à promouvoir ses idées en affirmant que le refus de son traitement révolutionnaire était le résultat d’un complot ourdi par le gouvernement et les laboratoires pharmaceutiques. Mon soutien au professeur Raoult m’a valu une notoriété fulgurante au sein de la communauté complotiste. En quelques mois seulement, mon nombre d’abonnés sur le réseau social Twitter est passé de 200 à 20 000.
Au cours de cette période de pic de popularité, j’ai fait la connaissance d’un individu se cachant sous le pseudonyme “Olive”. Olive avait lui-même peu d’abonnés, mais il était célèbre pour son comportement de harceleur sur Twitter. Il ciblait de manière virulente un médecin nommé “Damien Barraud” simplement parce que ce dernier critiquait le traitement du professeur Raoult. Étonnamment, Olive s’est montré très amical à mon égard. Il était toujours disponible pour discuter de tout et de rien, et il m’a interrogé en profondeur sur ma vie et mon parcours, sans que j’aie réellement d’informations sur son identité, tout en partageant moins que je ne le faisais sur moi. À ce moment-là, je n’avais pas conscience que je passais en réalité un genre d’entretien d’embauche à mon insu.
Processus de recrutement
J’étais tout récemment parvenu à atteindre les 5000 abonnés en seulement 4 mois. C’est à ce moment-là qu’Olive m’a contacté en message privé pour me féliciter pour le “travail” que je fournissais. Cependant, il a rapidement ajouté une note d’inquiétude en m’informant que les “nofakemed” (des personnes qui dénonçaient le faux traitement du professeur Raoult) pourraient essayer de pirater mon compte, car il devenait de plus en plus populaire et gênant pour eux. Il insistait vivement sur la nécessité de protéger mon compte en activant la double authentification. Olive insistait beaucoup.
J’ai trouvé cela très suspect, d’autant plus qu’il m’a demandé des captures d’écran comme preuve de l’activation de la double authentification par SMS, ce que j’ai fini par lui montrer. Suite à cela, Corinne Reverbel, l’un des comptes les plus influents à l’époque en soutien au professeur Raoult, m’avait ajouté à un groupe de discussion nommé “CIA New Groupe.” Ce groupe comprenait de nombreux autres profils influents de l’époque, mais pas seulement. On y trouvait également le directeur de publication de FranceSoir, un blog complotiste très populaire pendant la pandémie, le chargé de communication de Didier Raoult, Yannis Roussel, et bien sûr Olive.
Corinne Reverbel a pris la parole pour m’expliquer que le groupe souhaitait que j’active la double authentification afin d’éviter d’être piraté. De plus, elle a précisé que ce groupe devait rester secret, que personne ne devait connaître son existence ni son objectif. J’ai été choisi en raison de mon nombre d’abonnés et de mon influence sur les réseaux sociaux. Le but annoncé de ce groupe était de vérifier les informations afin de ne pas propager de fake news.
À ce stade, j’ai trouvé cela positif, car j’appartenais désormais à un groupe engagé dans une cause louable, la vérification des informations. Cependant, une question me taraudait : pourquoi garder ce groupe secret alors que sa mission était noble ? Cela ne devrait pas être dissimulé, mais je n’ai jamais reçu de réponse à cette interrogation. Plus tard, j’ai compris que ce groupe n’était pas du tout ce qu’il prétendait être. En réalité, il s’agissait d’un réseau organisé de désinformation visant à influencer l’opinion publique, y compris les médias télévisés.
Organisation du groupe
On m’a expliqué que ce groupe regroupait les comptes Twitter les plus influents, destinés à partager massivement l’information sur les réseaux sociaux, c’est pourquoi j’y étais présent. Il comprenait également des comptes Twitter de pseudo-scientifiques, tels que des radiologues, biologistes, etc., dont la responsabilité était de vérifier les informations avant que des comptes influents dans la sphère complotiste ne les partagent.
En réalité, ces scientifiques avaient tous quelques casseroles/travers à leur actif: Certains étaient impliqués dans des controverses liées à la maladie de Lyme chronique, d’autres avaient participé à des essais sauvages et non éthiques mettant la vie des patients en danger. Cependant, nous n’en étions pas informés, et je n’ai découvert celà qu’après avoir quitté ce groupe. Lorsqu’un de ces pseudo-scientifiques affirmait qu’une information était fiable, sa parole n’était jamais remise en question au sein du groupe. Leur parole était considérée comme autoritaire, et nous partagions ces informations sans hésitation. Étonnamment, à aucun moment l’un de ces pseudo-scientifiques n’a déclaré qu’une information était fausse. Tout ce qu’ils présentaient était systématiquement considéré comme une information vraie.
Deux comptes se démarquaient au sein de ce groupe : celui de Y Roussel, chargé de communication de D Raoult, et celui de E Chabrière, professeur de biochimie. Le premier était présent dès le début de groupe, initialement en retrait, et prenant au fur et à mesure de plus en plus d’importance. Le second a rejoint le groupe un peu plus tard, à la création de son compte. Je reviendrai sur ces personnes ultérieurement.
Il y avait également Xavier Azalbert, le directeur de publication de FranceSoir — devenu un blog complotiste qui nous sollicitait régulièrement pour écrire des articles sur son blog complotiste, relatant la synthèse ce qui se disait au sein de ce groupe pour en fait un article de désinformation. le fameux “collectif citoyen” de FranceSoir.
Trafic d’influence
Comme je l’ai mentionné précédemment, Yaniss Roussel était présent dans le groupe depuis le début, mais il y était très peu actif. Eric Chabrière, quant à lui, n’avait pas de compte Twitter au moment où j’ai rejoint le groupe. Quand il a créé son compte, plusieurs mois plus tard, il a immédiatement été ajouté, ce qui a marqué un tournant significatif.
Eric Chabrière nous a proposé de visiter l’IHU-M. Certains membres du groupe s’y sont rendus, ont pris des photos, notamment Corinne Reverbel, Xavier Azalbert et d’autres utilisateurs de Twitter. Ils ont eu l’occasion de rencontrer le professeur Raoult et de discuter avec lui. Pour ma part, cela ne m’était pas possible à l’époque en raison de mes troubles sociaux, qui rendaient difficile pour moi de fréquenter des lieux avec beaucoup de monde, même s’ils étaient proches de chez moi.
Avant cette visite, nous étions déjà engagés dans la défense de Didier Raoult, mais cette visite avait un objectif précis : nous faire sentir spéciaux, privilégiés, pour renforcer notre fanatisme et nous fidéliser, afin que nous continuions à propager de fausses informations.
Yaniss Roussel, avec la complicité d’Eric Chabrière, continuait dans la même veine en partageant certains résultats de l’IHU avant même la vidéo hebdomadaire du Professeur Raoult. Par exemple, nous avions accès aux résultats de la charge virale des eaux usées avant tout le monde. Parfois, on me fournissait des informations sur ce que Raoult allait précisément dire trois jours plus tard dans sa vidéo, afin que je puisse rapidement préparer l’extrait et le publier sur Twitter, afin que les autres comptes influents du groupe puissent aussi la reprendre et ainsi générer du trafic et de l’influence.
Un réseau organisé
En effet, il était de mon rôle de découper des extraits vidéo pour les publier sur Twitter, dans le but de propager la désinformation et les discours complotistes. C’est ainsi que j’ai pris conscience que cette action ne se limitait pas uniquement aux membres présents dans ce groupe, mais qu’elle constituait un vaste réseau, dont les ramifications pouvaient être suivies jusqu’à certaines personnalités complotistes qui apparaissent dans les médias. En réalité, certains membres du groupe CIA entretenaient des liens étroits avec des personnalités telles que Louis Fouché, Alexandra Henrion Caude, Christian Perrone et Fourtillan, que l’on voyait fréquemment à la télévision sur CNEWS ou à la radio Sud Radio.
De manière régulière, je recevais des messages directs de personnes me signalant : “Louis Fouché m’a appelé, il va passer sur CNEWS dans 5 minutes, il va dire ceci, cela, enregistre-le.” J’avais ainsi une connaissance précise de son horaire de passage, du contenu de son discours, et de ce que je devais enregistrer pour partager rapidement la vidéo sur mon compte Twitter. Ensuite, tous les autres comptes influents du groupe reprenaient la vidéo, ce qui contribuait à propager la désinformation de manière plus rapide.
Les membres en relation avec ces personnalités publiques étaient également chargés de les tenir informées des discours des complotistes sur les réseaux sociaux. Ainsi, lors de leurs prochaines interviews, ils pouvaient adapter leur discours aux nouvelles théories conspirationnistes en vogue pour ne pas rentrer en contradiction avec celle-ci.
Pour vous démontrer la relation qui existe entre ces réseaux, je vais vous présenter un exemple de désinformation largement diffusée et reprise, provenant directement du groupe CIA, dont je faisais partie.
Le 6 octobre 2020, en parcourant mon fil Twitter, j’ai découvert un tweet affirmant que le bras HCQ (le célèbre traitement du professeur Raoult) avait été interrompu dans le cadre de l’étude “Discovery”, alors que ce traitement commençait à montrer des preuves d’efficacité.